viernes, 12 de octubre de 2012

Jouer avec les mots, ce n'est pas qu'un jeu.




Nous nous trouvons à essayer de cerner l'expression “poétique de l'éducation”. Il a été question, dans les commentaires précédents, surtout de temps et de langage; je dirais, après avoir lu ensemble Fernando et Maxi, que la “poétique de l'éducation” est d'une matière et d'une temporalité tellement spéciales (et?) qu'elle a besoin d'être pensée, peut-être nommée, dans un langage, lui aussi, absolument spécial. 

Tellement spécial qu'il m'est, personnellement, très difficile de pouvoir imaginer de quoi il s'agit; je pense être trop habituée à certains mots, et surtout à une certaine syntaxe, que j'ose à peine espérer pouvoir effleurer ce langage spécial avec ma propre langue. Et j'ignore si le fait d'écrire dans ma langue, quand elle n'est pas la mienne (je ne suis pas habituée à écrire, ni à réfléchir en français -et pourtant! C'est la langue de mes rêves et de mes lectures) me rend rend cette tâche plus facile ou, au contraire, plus difficile.

Mais peut-être qu'elle la rend plus intéressante qu'il ne paraît. Dans son cours Was heisst denken?, le professeur Martin Heidegger tâche d'apprendre à penser à ses élèves, ce qui ne va pas sans, dans le cadre de son cours, leur apprendre à écouter la langue d'une autre manière. Deleuze dira plus tard: penser, c'est toujours penser autrement. Mais, qu'est-ce que ça veut dire? Et est-ce bien dire, que dire que les motsveulent dire quelque chose? On peut croire que c'est ce que Heidegger suggère quand, après avoir ridiculisé ses propres jeux de mots à la façon d'un adversaire, il soutient que ce n'est pas nous qui jouons avec le langage, mais lui qui joue avec nous. 

Sous cet angle, les jeux de mots de Heidegger, ne sont plus arbitraires mais relèvent d'une véritable démarche philosophique de déménagement. En anglais, “my place” veut dire“chez moi” et “translation” ressemble à “trasladar”, qui veut dire, en espagnol, changer quelquechose de place. “Trasladarse”, c'est “déménager”, donc commencer à habiter ailleurs. Habiter, habitude... comme en allemand: wohnen, gewonheit... Heidegger dit: nous allons apprendre à nous déshabituer, donc à cesser d'habiter, la langue à laquelle nous sommes habitués, afin de pouvoir en habiter d'autres. C'est ce que je fais moi-même, en quelque sorte, en rédigeant pour la première fois un texte “de pensée” dans une langue qui est la mienne, et qui est aussi, en même temps, “pas la mienne”.

En quoi cela peut bien concerner la philosophie de l'éducation, et, surtout, une certaine poétique de l'éducation? Ce que je veux dire n'est pas clair, mais se trouve, eu acho, au coeur de deux allures qui me fascinent. La première, de Gilles Deleuze. Il dit à plusieurs reprises qu'il faut apprendre à parler comme un étranger dans sa propre langue, qu'il faut arriver à (la) bégayer. Dans ses premiers livres, en plein apprentissage de la philosophie, on voit comment certains mots (“signe” ou “bêtise”) qui sont en relation avec d'autres notions, bougent pour entrer en relation avec d'autres. Ils changent de sens, ils veulent dire autre chose. C'est pourquoi il est si difficile de parler de ces déménagements: car reproduire, ce n'est pas produire une autre fois, ce n'est pas du tout produire. On a donc toujours l'impression qu'il manque quelque chose. La deuxième allure, c'est celle de La Grande soeur, dans le film grec Canine. Elle est habituée à parler une langue sans trous; aucun trou entre les mots et les choses, chaque mot a sa chose, chaque chose a son mot. Et puis, un jour, des mots et des gestes aperçus dans un film de fiction cassent cet ordre, puisqu'ils en sont pas signifiés, expliqués. Alors, elle demande à sa petite soeur de l'appeler par un nom (elles n'en ont pas), pour jouer à se retourner chaque fois qu'il sera prononcé. Alors, la main de La Grande reproduit certains gestes qu'elle a vu dans le film (des gestes de boxe, dont elle ignore tout). Et c'est à travers ce geste qu'elleproduira son déménagement. (Je n'en dis pas plus: regardez le film.)

Jouer avec les mots, ce n'est pas qu'un jeu. C'est apprendre à parler, et donc à habiter une langue qui est toujours autre, même si c'est la nôtre. C'est s'éloigner de la reproduction et s'exposer à la production; même si, au final, on ne produit pas grand chose, ou même rien comme il arrive -on dirait- à La Grande, qui cesse d'habiter sa langue pour n'en parler aucune. Ou peut-être le silence dans lequel elle tombe peu à peu dans le film, silence par lequel le film s'achève, a-t-il déjà tout dit.

Florelle D'Hoest 

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